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Le convoi de la liberté 2022 : l'extrême-droite devient séduisante pour une population écoeurée

#FreedomConvoy2022

Convoi de la liberté Québec

Je vois certain∙e∙s de mes proches adhérer au convoi de la liberté. Des personnes de différents milieux et différentes allégeances politiques. Aucune de l'extrême-droite cependant, bien que certaines puissent être plus individualistes, plus racistes ou plus tolérant∙e∙s face à la violence que d'autres. 

Or, ce mouvement initié dans l'Ouest du pays est noyauté par l'extrême-droite. Ces informations sont accessibles, faciles à trouver et à vérifier. Et pourtant, des gens de tous horizons continuent de se rallier au mouvement. Il ne s'agit pas d'une minorité à la marge du mouvement, mais bien du centre de son organisation. Ce n'est pas une poignée de "casseurs" dans un océan de militant∙e∙s pacifiques, comme on pouvait jadis le reprocher aux manifs étudiantes. C'EST LE COEUR ET LE FOND ET LE POURTOUR. Si les discours et les actions nous paraissent "soft", c'est parce que l'extrême-droite voit l'opportunité de séduire une population écoeurée en poussant son agenda politique antidémocratique au milieu du ras-le-bol et de l'épuisement généralisé.

C'est pourquoi je me sens en état d'alerte depuis plusieurs jours. Non pas que je craigne le coup d'état ou l'immédiate catastrophe, mais bien plutôt la normalisation des discours et pratiques de l'extrême-droite. Des discours qui étaient inacceptables récemment deviennent acceptables. "On s'en fout du passé des organisateurs, me disent les supporteurs-trices du convoi de la liberté, on veut juste la fin des mesures!" Et voilà, tout est dit, on troque notre esprit critique contre une illusion de liberté.

"Mais es-tu allée sur place?"

Mes proches me demandent : "Mais es-tu allée sur place?" Et je leur demande : "Où?" Jusqu'où dois-je aller pour avoir droit d'exercer mon esprit critique pour produire une opinion informée?

  • Dans le parti de Tamara Lich, une des organisateurs∙trices du mouvement pancanadien, connue pour ses positions pro-pipelines, pro-gun (anti-registre), anti-québécois∙e∙s, anti-musulman∙e∙s?
  • Dans le camion de Pat King, un autre des organisateurs∙trices, et ses discours suprémacistes blancs?
  • Dans l'entreprise et les "oeuvres de charité" de Keven Bilodeau, un des organisateurs du convoi vers Québec, qui pratique et prône l'intimidation des travailleurs∙euses au bas de l'échelle dans les commerces en déclarant la guerre à quiconque lui demanderait son passeport vaccinal et en faisant le commerce de ses pratiques violentes?
  • Dans leurs groupes facebook et leurs vidéos où on les voit clairement décider entre hommes blancs cishet?
  • Dans leurs écrits tels que le Manifeste du convoi de la liberté (Convoy For Freedom 2022 Unity Manifesto) où il est question d'oublier nos différences (une posture anti-intersectionnelle, posture qui invalide toute posture critique antiraciste, anticolonialiste ou féministe) et d'aller tous ensemble comme un seul (come together as one - le postulat de base des fascismes - ériger un idéal collectif suprême) dans un nationalisme gluant et la surenchère de drapeaux canadiens et québécois?
  • Dans les manifestations avec Bernard Rambo Gauthier, un autre des organisateurs du convoi de Québec, intimidateur criminellement reconnu et bien conscient de ses attitudes intimidatrices selon le juge?
  • À Ottawa où les débordements ne se comptent plus sur les doigts de la main et où des citoyen∙e∙s exaspéré∙e∙s et apeuré∙e∙s ont vécu du harcèlement (sexuel pour certaines femmes), des insultes, du grabuge, des excréments sur leur perron, du bruit infernal, des lancements de feux d'artifices entre deux immeubles et à proximité de camions gorgés de réserve de diesel?
  • À Québec où j'ai passé quelques heures à filmer sur place depuis jeudi à regarder un régime de mâles alphas qui ressemble beaucoup aux films futuristes postapocalyptique où on voit des hommes gonflés à bloc roulant dans leurs gros véhicules dans un monde fonctionnement sur les lois de la jungle? 

Et toi, as-tu fait tes devoirs "d'aller sur place"?

C'est le fun de s'allier avec eux, non? C'est un beau projet de société qu'iels nous proposent : la suprématie blanche, le machisme, le fascisme, l'anti-écologisme et... le rejet de l'approche scientifique et de la santé publique (une approche collective de le santé plutôt qu'individuelle). Je comprends qu'on est écoeuré∙e∙s et que les gouvernements doivent être critiqués... mais on doit aussi choisir nos ami∙e∙s!

Les organisateurs du convoi de la liberté vers Québec, que des hommes blancs d'un certain âge
Les organisateurs autoproclamés du convoi de la liberté convergeant vers Québec. On y reconnaît Bernard Rambo Gauthier, intimidateur. On y voit surtout seulement des hommes blancs cishet. Pour les écouter planifier les convois : https://fb.watch/aXQdJiNKy4/

"Tu peux pas comprendre, c'était extraordinaire!"

À Québec, le rassemblement de samedi a toutes les allures d'une grosse Saint-Jean, mélangée à un étrange 1er juillet (Québec n'a jamais été autant sur le party avec les drapeaux du Canada), tirant sur le party-rave en fin de soirée. Il est clair que, pour les organisateurs, le tout doit se dérouler sans faille, autrement ils perdraient l'adhésion de la population. Les appels à rester pacifiques sont nombreux. 

Plusieurs y ont vécu un moment ressourçant, extraordinaire, magique, une solidarité indescriptible. C'est le cas de l'organisatrice de la manifestation familiale de samedi midi, Isabelle Villeneuve, une femme se présentant d'abord comme une mère, sans passé d'extrême-droite. Elle affirme ne pas connaître les organisateurs - qui ne lui ont par ailleurs laissé aucune place, aucune visibilité, alors qu'elle a été la porte-parole du mouvement dans les médias et qu'elle a mobilisé une partie importante de la foule. Dans sa publication facebook, elle rapporte que les organisateurs "ont fait de la magie"... et c'est bien là le danger : être séduit∙e par l'extrême-droite, par une vision individualiste de la société (je-me-moi) cachée derrière un faux "nous", par une vision restrictive de la liberté (celles des hommes blancs cishet, la liberté de blesser, la liberté d'enfreindre, la liberté de se foutre du bien commun) qui n'est plus enchâssée avec le droit à l'égalité, à la sécurité, à la santé, et les autres droits, par le rejet des institutions (gouvernementales, scientifiques, étatiques). C'est bien au-delà de la nécessaire critique de nos institutions!

Un siège de mâles alphas

Toutefois, depuis jeudi soir, le convoi de la liberté à Québec frôlait plutôt l'état de guerre avec tous ces hommes blancs barbus-clichés grognant et hurlant depuis leur voiture, klaxonnant et viraillant frénétiquement. Le sentiment de sécurité au centre-ville en était diminué, particulièrement pour les femmes et les personnes racisées. Même s'ils étaient absents, impossible d'oublier les images de drapeaux nazis et de drapeaux confédérés aperçus à Ottawa.

Trop de mâles alphas ensemble, c'est jamais bon... c'est pas bon dans le Nord, c'est pas bon dans les pays en guerre, c'est même pas bon dans les métiers à prédominance masculine. Statistiquement, ça veut dire harcèlement, violences, agressions sexuelles, intimidation, perte du sentiment de sécurité. On pouvait déjà ressentir la perte du sentiment de sécurité en parcourant les rues du centre-ville jeudi et vendredi soir. Nous les femmes, on reconnaît le petit fléchissement qui s'opère quand les hommes se mettent à s'agiter, à crier, à s'encourager, avec ce rire gras typique de la masculinité toxique. Ça fait peur, assez universellement, à toute personne n'appartenant pas à ce groupe social (et même à certains du groupe).  

J'ai fait le signe du pouce en bas lorsqu'une partie du convoi est passé à ma hauteur. Les conducteurs ne lâchaient plus le klaxon. L'un d'eux, entre deux coups de criard, me lançait des "baisers soufflés" en criant "je t'envoie de l'amour" avec tout ce que cette phrase dite par un homme intimidateur peut donner comme feeling pas le fun à une femme, avant de se remettre à klaxonner pour ne pas que je puisse répondre quoi que ce soit. Liberté, disent-ils.

La présence confirmée de l'extrême-droite

Selon Jackie Smith, des membres de la Meute étaient parmi les assiégeants. La Meute avait effectivement confirmé sa présence dans le convoi sur les réseaux sociaux et dans la presse. "« On a passé le message dans nos 17 clans régionaux. Des groupes s’organisent pour le transport. On peut être entre 100 et 150 », affirme en entrevue avec La Presse le porte-parole de La Meute, Sylvain Brouillette". Ce qui soulève des inquiétudes importantes de la part du directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation :

« Si La Meute est en train de ressusciter, ça veut dire qu’elle profite de la montée de l’extrême droite, qui est en train de se nourrir de l’opposition aux mesures sanitaires », croit M. Geoffroy.

« Tous les mouvements d’extrême droite actifs avant la pandémie sont maintenant contre les mesures sanitaires. Ils ont mis de côté l’islam, l’immigration soi-disant illégale et le chemin Roxham, dit-il. En temps de crise, c’est facile de faire du recrutement dans un bassin de gens écœurés. » 

...Mais lui aussi, il doit rien connaître, il doit être manipulé par les médias de masse, l'ordre mondial et les gouvernements, peut-être même par les Illuminati pis le Great Reset

La Meute confirme qu'elle se joint au convoi vers Québec

Quand tu attires La Meute dans ton mouvement, c'est que ça ne va pas.

Quelle est la responsabilité des élu-e-s dans ce glissement?

On peut accuser la gouverne de Legault ou de Trudeau d'avoir une responsabilité dans cette montée de l'extrême-droite, mais c'est aussi un mouvement mondial qui s'observe dans plusieurs pays depuis plus de 10 ans. Les situations de crises, génératrices de chaos social et d'incertitudes, jumelées à la grogne populaire, à une gouverne caquiste et libérale à la petite semaine avec une approche yoyo, sont des opportunités en or pour les mouvements d'extrêmes-droites de se présenter comme des solutions de rechange intéressantes. Or, il n'en est rien. Historiquement, aucun pays qui a troqué un mauvais gouvernement pour un ou des leaders fascistes ou ultra-conservateurs n'est sorti gagnant en terme de droits et libertés, bien au contraire. On reproche avec raison à Legault et à Trudeau d'avoir des pratiques antidémocratiques et discriminatoires ouvrant la porte à des dérives autoritaires (je l'accorde, le passeport vaccinal est discriminatoire), mais ce n'est rien comparé au projet libertarien ou ultraconservateur ou suprémaciste de l'Alt-Right! Ajoutons à cela une responsabilité municipale avec le maire Chartrand qui finance les radios-poubelles, lesquelles mobilisent la population à participer au convoi de la liberté. Jackie Smith, élue municipale de Transition Québec, en fait perspicacement la remarque lorsqu'elle dénonce cette incohérence : "Si vous me suivez bien, la Ville de Québec engrange des revenus à Radio X, qui fait la promotion du convoi de la « liberté » et qui amène des coûts supplémentaires pour la Ville de Québec. C’est incohérent." On aurait bien voulu avoir un chèque de la Ville de Québec pendant la grève étudiante!

Pourquoi la gauche reste-t-elle silencieuse?

Le silence de la gauche, du communautaire et des mouvements féministes me préoccupe. Pourquoi? Est-ce la crise du logement (dont parlent si peu les médias) qui les occupe? La mobilisation pour l'environnement (contre la hausse de la norme du nickel, pour Québec, mais aussi plus généralement la catastrophe écologique en cours)? Le sous-financement du communautaire qui nous invite à la manifestation le 24 février prochain? La peur? Tsé, quand Rambo Gauthier dit "vous prendrez le numéro matricule de ceux [les policier∙e∙s] qui écoeurent pis on va s'en occuper après", il est vrai que ça peut faire peur, étant donné son lourd passé d'intimidateur de chantier!

Ne pas participer à la normalisation des méthodes de l'extrême-droite

Il y a un glissement qui s'opère aussi dans les mots choisis pour décrire l'état actuel de la mobilisation. Une manifestation est un rassemblement de personnes qui revendiquent un changement. Or, une mobilisation de camions qui "manifestent" comme on irait au service-à-l'auto, ça s'appelle un siège. Ce sont des assiégeant∙e∙s. Leur attitude, en dehors de la manifestation de ce samedi, en est une d'intimidation plutôt que de perturbation. 

La complaisance policière : des liens avec l'extrême-droite?

Stephanie Wyeld, "gazouilleuse" (twitter), a fait tout un fil sur les privilèges blancs visibles dans cette mobilisation. Jamais le mouvement Black Live Matters ou Idle No More n'aurait pu assiéger les capitales provinciales et fédérales en véhicules lourds. La répression aurait été rapide et violente; les camions ne seraient même pas partis des points de départ! Jamais la population d'Ottawa ou de Québec n'aurait été aussi tolérante non plus que les politicien∙ne∙s ou les forces policières. 

J'ajouterais que le mouvement étudiant non plus n'aurait pas reçu une telle complaisance. Rappelons-nous que nos manifestations étaient qualifiées de "boycott" par le gouvernement Charest, tout comme elles ont été qualifiées "d'attroupement illégal" pendant le G7 en 2017 à Québec par les forces policières. Les arrêté∙e∙s du G7 ont sévèrement goûté à la répression policière, laquelle était orchestrée et préméditée avec la bénédiction du système de justice : un juge avait préalablement autorisé des détentions arbitraires, une aile de prison avait été libérée pour ses personnes qu'on savait ne pas être des habituées du système pénitencier, on avait prévu les y laisser 48 h puis leur imposer des restrictions dignes d'une peine d'emprisonnement dans la collectivité alors même qu'on ne les avait toujours pas jugées. Enfin - mais il y aurait tant d'autres exemples à donner - on se souvient aussi comment c'était important pour la police de Québec d'assurer le droit de manifester à La Meute lors de sa manifestation anti-immigration en 2017. "Celui-ci [un membre de la Meute] s'est félicité d'une étroite collaboration avec les autorités.". Il y a clairement deux poids deux mesures tant dans l'usage des mots, la reconnaissance des mouvements, la tolérance des comportements et les répressions exercées par l'état contre les mouvements de la gauche et ceux de la droite. La complaisance des forces policières envers le siège d'Ottawa et, on l'observe de plus en plus à Québec, pose de sérieuses questions sur l'existence possible de liens étroits entre les deux. Liens qui, pour certains groupes d'extrême-droite, ont été démontrés, en France, par exemple, ou bien dans l'armée canadienne.

Sans surprise, on retrouve ce même message du sacro-saint-droit-de-manifester(en camion et malgré une base haineuse) dans le récent avis du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Le droit de manifester est un droit important, mais encore faut-il s'entendre sur ce qui est une manifestation et ce qui n'en est pas.


 Il FAUT rester critiques face au gouvernement, mais il ne faut pas se rallier pour cela à n'importe qui et encourager la montée des extrêmes-droites ici et ailleurs ! Jeter un gouvernement provincial divisionnaire aux pratiques antidémocratiques et aux dérives autoritaires sans projet de société pour adhérer à un mouvement dont le fond est tantôt libertarien tantôt fasciste. Ya AUCUNE FAÇON que ce mouvement prône l'égalité femmes-hommes (sauf pour l'instrumentaliser, sauf comme rhétorique) ou encore l'écologisme ou l'antiracisme ou le colonialisme ou quoi que ce soit qui serait une réponse aux causes profondes de la pandémie (les grands systèmes d'oppression). AUCUNE 

#DéciderEntreHommes blancs cishet

#FreedomConvoy freedom as a white guy

 


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