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Angoisses autour de la mort

Dernièrement, les événements de la vie m'ont placée en face de la mort d'un proche. Une mort subite. Inattendue.

J'étais en position d'ouverture, entièrement perméable à mon environnement, aux autres, à leurs douleurs. La mort est entrée dans mes entrailles et me tord désormais le ventre.

Depuis, je suis forcée de voir la vérité en face : nous sommes tous condamnés à mort. Je suis condamnée à mort. Mes enfants le sont également.

Bien sûr, de telles pensées me viennent forcément lorsque la nuit tombe et ne me quitte que lorsque je sombre dans un sommeil agité. Le jour, elles me laissent tranquilles. Cela me rappelle avoir connu les mêmes angoisses, vers l'âge de 8 ans, alors que, dans mon lit, je me demandais ce qu'il y avait après notre mort. Déjà, je pensais que je n'existerais plus, que ma conscience, mes pensées, ma capacité de me faire un roman avec tout et avec rien; tout ça disparaîtrait. Je me demandais aussi si on pouvait savoir le moment juste avant de mourir ou si c'était comme le sommeil et qu'on le savait seulement parce qu'on se réveillait le lendemain. En même temps, je me questionnais sur l'univers : où était sa fin, est-ce qu'il y en avait d'autres? Et sur les autres aussi : Est-ce que le rouge que je voyais était le même rouge pour tout le monde ? Est-ce que tout le monde avalait sa salive quand il y en avait trop ou étais-je la seule à qui ça incombait ? Pour régler les questions, quand la peur me tenaillait trop, je me levais et allais rejoindre mes parents dans leur lit. Cela suffisait à m'apaiser pour l'instant. J'ai fini par régler le problème, après plusieurs nuits d'angoisse, en me convaincant que j'avais peur de la mort parce que j'étais une enfant et que les adultes, eux, ne la craignaient pas. Cela devait être comme faire à manger ou conduire une voiture; en grandissant, on apprenait, forcément, et on n'avait plus peur. Bien plus tard, j'ai su que nous n'arrivions pas tous avec la même attitude devant la mort : certains l'attendent, d'autres la craignent, d'autres encore meurent terrifiés. Je ne veux pas être de ceux-là.

Depuis que cette vieille angoisse m'est revenue sans pouvoir l'éloigner avec ma naïveté de jadis, sans pouvoir non plus la supprimer en rejoignant simplement le lit de mes parents comme autrefois, j'ai envie d'arrêter tous les passants dans la rue pour leur rappeler que nous allons tous mourir ! J'ai questionné quelques proches autour de moi. Personne ne semble se préoccuper de sa fin. Certains m'ont même regardée comme si je venais de mars avec mes grandes questions.

Pourtant, tous nous naissons, tous nous mourons. Sans savoir ce qu'il y a de l'autre côté et sans signes convaincants de notre poursuite vers autre chose avec comme seul réconfort que notre corps servira à nourrir tout plein d'organismes et fera ultimement un bon compost. Je trouve cela désolant. Et si je poursuis dans mon négativisme, j'imagine que ma vie n'a aucun sens puisque je ne pourrai pas en voir les résultats ! À quoi bon laisser sa trace, si on ne peut pas en goûter les bienfaits ? Pourquoi naître, si c'est pour subir les limites de notre corps toute notre vie, connaître la souffrance, parfois chronique, le manque et toutes ces douleurs pour finalement en mourir ? Pourquoi cheminer et s'améliorer, pourquoi sauver le monde puisque ce monde ne nous sauvera pas ? Ma motivation s'en trouve fichue à chaque fois.

Pourtant, ce qui m'empêche de sombrer dans un délire total, c'est justement quand je me ramène à l'instant présent. Mettant ce qui n'est pas encore arrivé de côté, force m'est de constater que j'ai tout pour être heureuse : un conjoint aimant (plus-que-parfait malgré tout, comme on se dit pour rire), des enfants en parfaite santé et tellement intelligentes (c'était un des critères importants pour moi), un appartement que j'adore dans une ville superbe, de la bouffe plein le garde-manger, des chattounes adorables, un décor à mon goût, mon portable et mes trucs précieux, mes compétences, une excellente santé et de grands projets. Pourquoi alors me gâcher la vie avec la mort puisqu'elle viendra forcément un jour me la gâcher par elle-même ? Et je jette un dernier coup d'oeil à la petite dernière avant de me lover contre mon amoureux pour ajouter un dernier bonheur à cet instant : sa chaleur ! Enfin, avant de dormir, j'ai toujours une pensée pour mon beau-père en lui demandant de veiller sur sa femme et sur mon conjoint. En espérant que son esprit soit quelque part.

Le jour, je me répète quelques fois que nous mourrons tous, que c'est là notre destin naturel (moi qui aime profondément ce qui est naturel!) et que je devrai l'accepter. Je me console parfois en me disant que ma date de péremption a toutes les chances d'être dans bien des années encore, quoi que... Et c'est ce "quoi que" qui me gruge ! Car il revient avec la noirceur. Mes bains de lune que j'adorais prendre jadis, quand toute la maisonnée ronfle du même souffle et que je suis la seule à profiter d'un moment d'éternité avec l'univers, me terrorisent désormais.

Ainsi me viennent d'autres questions éprouvantes. Si ma fille venait à avoir un diagnostic fatal, devant sa mort, quels mots trouverais-je pour la réconforter ? Et comment vivrais-je la peur qu'elle ne soit plus ? Pas seulement le manque comme le vivent les croyants, mais la peur que sa courte vie ait déjà pris fin sans qu'elle ait connu la fougue de l'adolescence et les grandes passions de la vingtaine, sans que je puisse un jour "la rejoindre de l'autre côté" comme on entend souvent ! Dieu que je voudrais être croyante ! (Voilà bien une prière d'athée.)

La panique qui s'empare alors de mon corps, avec l'estomac en boule, les intestins contractés, les étourdissements, le souffle court, les fourmis dans les doigts et les jambes, me rappelle celle vécue lors de mes trois débuts d'accouchements. Au premier, je n'ai pas pu me calmer et j'ai demandé la péridurale comme on invoquerait Dieu. Seule l'anesthésie a su endormir mes peurs de la douleur (d'avoir trop mal, que ça ne finisse jamais). Au second, c'est ma sage-femme qui, arrivant chez moi, a posé simplement sa main sur ma cuisse pour me dire qu'à la simple écoute de ma respiration, j'étais probablement déjà à 8 centimètres et qu'il m'en restait bien moins à faire que ce que j'avais fait. Au troisième, à bout de fatigue à cause du deuil et d'un retour de voyage éprouvant, j'ai appelé ma sage-femme et mon amie pour affronter la panique qui montait dans ma gorge et menaçait de m'étouffer. Mon amie a su trouver les mots justes. Aujourd'hui, ils font sourire par leur naïveté, mais sur le moment, c'était ce que j'avais besoin d'entendre. Tout avait été trop dur. J'avais atteint toutes mes limites et les avais largement dépassées. Je ne pourrais pas supporter le travail et la douleur. Elle m'a dit : "Tu sais, statistiquement, avec tout ce que tu as vécu, il ne peut t'arriver que du bon maintenant. Tout va bien aller, je le sais". En raccrochant, je suis allée me regarder dans le miroir, mes contractions rythmant désormais un temps devenu élastique, quasi figé. Je me suis dit : C'est le grand soir, Âne, celui que tu as attendu, le moment de voir ton bébé enfin, de voir en vrai celui que tu as imaginé depuis 9 mois et que tu ne connais que par les mouvements. C'est ce soir, ce sera ce matin et tu es capable de le faire".

Alors devant la mort, je vais me souhaiter un ange qui saura me dire les bonnes paroles au bon moment et je me dirai probablement la même chose que cette nuit-là : Tu es capable, fais confiance. Puisque c'est cela qu'il faut pour traverser toute épreuve.


Vous voyez bien que cette question n'est pas prête d'être résolue. Chaque fois que je me console sur un truc, un autre émerge et me torture. C'est comme quand on fait une tarte et que notre pâte est légèrement trop petite : quand on tire d'un côté, on fait craquer l'autre, et quand on raccommode l'autre tant bien que mal, on achève le premier ! Et s'il est une chose que je sais maintenant sur la vie, c'est que, quand on croit avoir régler quelque chose pour toujours, il revient à la prochaine crise existentielle.

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