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Au Québec, on demande aux femmes de porter le voile... pour allaiter

L'autre soir, je soupais avec une amie et son conjoint. Quand son petit bébé a eu faim, elle s'est levée pour quérir son petit voile noir et le poser autour de son cou afin d'allaiter discrètement. Étant une mère allaitante moi aussi, je lui ai mentionné qu'elle pouvait allaiter simplement sans crainte de me gêner ni de gêner mon conjoint, très habitué de ce geste. Elle a enlevé son voile et m'a affirmé qu'elle le portait pour son mari, surtout s'il y avait un autre homme dans la pièce, en parlant de mon conjoint. J'ai trouvé cela étrange. Pourquoi son mari lui demanderait de porter le voile en présence d'autres hommes pour allaiter ? Et l'analogie avec les femmes musulmanes m'a sauté aux yeux ! Cette idée que les hommes sont tous des pervers et que la vue d'un sein de femme allaitante les exciteraient ! Et cette idée que les femmes doivent prendre sur elles les excitations possibles des hommes devant leur corps, comme si elles étaient responsables des désirs et des actes des hommes !


Alors quand le conjoint est rentré, durant le souper, et que le bébé, de nouveau affamé, a été mis au sein – sous le voile, cette fois – je n'ai pas pu m'empêcher d'aborder le sujet. Le mari, d'abord surpris, a affirmé qu'ils n'en avaient jamais parlé ensemble, mais que maintenant que c'était là, il préférait, oui, que sa femme porte le voile devant lui ou en présence d'autres personnes. Il a argumenté que chaque femme devait décider pour elle et qu'il n'était pas mal d'allaiter discrètement ou simplement – lire non discrètement - et que cela appartenait à la mère. Mais là était l'épine. La mère ne semblait pas gênée par notre présence, mais elle mettait le voile pour son mari.


J'avoue que j'étais troublée. On a abordé les arguments classiques : la peur de gêner les autres, la peur des regards. Là-dessus, j'ai concédé qu'il est vrai que chaque femme n'a pas à porter le fardeau du combat pour un allaitement au plus naturel, mais que de croiser des femmes allaitant aux toilettes m'avait toujours choquée. Qui voudrait se nourrir dans une salle de bain publique ? Et quel confort pour la mère si l'allaitement s'éternise ? Quand on a touché à la notion de libre-choix, j'ai mentionné la différence entre les choix en Occident et les choix dans certaines tribus d'Afrique1, par exemple, où la nudité des seins est naturelle ! Puis, on a parlé du droit du conjoint. Moi, je frisonne chaque fois que quelqu'un pense avoir des droits sur quelqu'un d'autres. Que ce soit nos enfants, notre conjoint, nos parents. Pourquoi un homme aurait-il des droits sur sa femme ? Pourtant, en matière de conception, de suivi de grossesse, de plan de naissance ou d'allaitement, il semble que les conjoints aient des droits : droit de ne pas soutenir leur femme enceinte ou de forcer une femme à poursuivre une grossesse qu'elle ne désire pas, droit de ne pas vouloir la laisser accoucher à son domicile avec une sage-femme, droit de ne pas aider la maman qui vient d'accoucher, droit de ne pas encourager l'allaitement et finalement, droit de décider quelle partie du corps la femme doit couvrir ou découvrir en sa présence.


J'en ai marre que notre corps soit si inconvenant ! Ou alors, qu'on le pornographise ! Il n'est cependant jamais totalement entre nos mains. Pas moyen d'être une femme, mère, sexuée; un être humain quoi ! L'image, tellement parlante, à la Une du magazine La vie en Rose (hors-série : 2005) me revient en tête, avec cette femme toute voilée dont les jambes sont exhibées jusqu'en haut des cuisses. On peut nous montrer, à moitié nue, sur une pancarte2 sur l'autoroute 40 pour annoncer un bar de danseuses, on peut nous mettre dans n'importe quelle position suggestive pour annoncer des vêtements, notre cul peut faire la Une d'un magazine dans le présentoir de l'épicerie, on peut nous payer pour danser ou nous prostituer, mais montrer un sein pour nourrir un bébé est offensant ou dérangeant pour certaines personnes ! Nous vivons dans une société hypocritement puritaine !


Le problème est peut-être que CE geste exclut l'homme : il ne sert pas à le séduire, ni à nous dégrader. Il sert à nourrir. Il ne nous montre pas sexuellement disponible et au service de l'homme, mais occupée avec un bébé. Il est digne et généreux. Il nous montre pleine, capable de donner la vie et de poursuivre ce don dans l'allaitement. Plusieurs oublient, d'ailleurs, que ce geste fait partie de notre sexualité et que nos glandes mammaires sont présentes dès notre plus jeune âge.


Mais voilà, l'homme occidental a décidé que les seins, en particulier, étaient sexuels. Comme si le reste de notre corps ne l'était pas ! Alors il nous demande de le cacher juste pour lui. Ainsi, encore une fois, pour celles et ceux qui auront lu les auteurs féministes3 du dernier siècle, c'est l'homme qui choisit la nature de nos seins comme il avait choisi notre nature féminine et décrit ce qu'était la vraie féminité, écartant ainsi celles qui n'y correspondaient pas. Lui peut se montrer en torse, mais nous, il nous faut couvrir « ce sein que je ne saurais voir » comme le disait si bien Molière dans son Tartuffe4, formule qui a été reprise depuis pour parler du débat de l'allaitement en public. Il ne faut qu'un pas pour décider que le visage d'une femme dérange l'homme et lui demander de le cacher. On obtient alors le niqab. Un pas de plus, et c'est tout son corps, voici la burka. Enfin, s'il décide que nous sommes dérangeantes, point, nous voilà cloîtrées ! Libérer le sein de l'emprise machiste, c'est faire un pas de plus dans la direction de notre émancipation, de l'égalité tant désirée. Le sein, finalement, n'est qu'une partie du corps ! Et tant mieux s'il nourrit et plaît à la fois ! Tant mieux si l'on peut concevoir et jouir ! Pourquoi faut-il que les barrières culturelles et historiques nous empêchent, particulièrement nous, les femmes, mais également les hommes dans d'autres situations, de nous simplifier la vie et d'en jouir ?


Alors que la mode est à la mini-jupe et au mini-short, le gros vendeur des produits d'allaitement devient le tablier d'allaitement aussi appelé châle. Imposé par la culture, n'a aucune autre utilité et rend l'allaitement compliqué. En plus, avec un bébé de 6 mois et plus, il devient difficile à garder en place. Et ce pauvre enfant nourrit dans le noir comme un prisonnier !


Voyez, il s'agit bien de la burka du bébé allaité. Libérez cet autre aspect de votre féminité comme nos ancêtres nous ont libérés des tabous sexuels. Allaiter partout, en tout temps, et simplement est un droit à défendre.

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1Voir le film Babies qui vous convaincra de la « nature » accordée aux seins dans les tribus primitives. Là, aucune vocation sexuelle ! Ce film est réalisé par Thomas Balne et distribué par Alliance Vivafilm au Québec. Site officiel : http://www.focusfeatures.com/focusfeatures/film/babies/ Visité le 12 août 2011.

2Une affiche de bar de danseuses, à Trois-Rivière, montrant une femme aux seins nus a été portée à l'attention de la Ville. Voici ce que le gérant de l’établissement, Jocelyn Guy, avait à dire pour sa défense : « On est rendu en 2004. L’affichage, il y en a partout. Il y a des seins nus à la télé en plein jour, il y en a dans les centres d’achats, dans les magasins de lingerie, les filles sont à moitié nues, et ça ne dérange personne. Alors, je ne vois pas pourquoi celle-là dérangerait quelqu’un! ». [En ligne] http://www.paperblog.fr/1346056/archive-l-enseigne-d-un-bar-de-danseuses-nues-est-dans-la-mire-de-la-ville/ Visité le 12 août 2011.

3 Il faut probablement commencer par Simone de Beauvoir et son Le deuxième sexe. Je propose également de lire une petite anthologie des auteurs masculins féministes avant l'heure par Benoîte Groult intitulé Le féminisme au masculin (1977) ou simplement d'ouvrir un dictionnaire de culture générale pour y lire un peu d'histoire féministe.

4 Couvrez ce sein que je ne saurais voir.

Par de pareils objets les âmes sont blessées,

et cela fait venir de coupables pensées. (Tartuffe, acte III, scène II, vers 860-862)

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