L'esprit de performance et la militance : s'y conformer pour lutter ou en faire une lutte radicale de résistance? Et comment? à l'intérieur ou en parallèle au système?
Dans cet article, j'ai envie de
partager ma réflexion et mes dilemmes profonds autour de la
militance dans la société de performance sur fond de crises
importantes :
- Doit-on entrer dans cette course effrénée de multi-luttes en agissant sur plusieurs fronts, en rédigeant billet sur billet en réponse aux attaques de toutes parts, etc. ou doit-on rejeter cet esprit de performance dans nos pratiques quotidiennes et vivre avec le fait qu'on laissera tout un discours et des pratiques engluer la société et contaminer nos milieux de vie pendant qu'on "ralentit" notre temps social?
- Quel type de lutte est la plus efficace, la plus radicale ou la plus révolutionnaire et la plus intéressante pour notre vie quotidienne? et notre vie de militance?
- Est-ce que la société de performance ne nous récupère-t-elle pas quand nous acceptons d'entrer dans sa course? Ne vise-t-elle pas (oui, je personnifie grossièrement la société, mais comprenez ce raccourci intellectuel comme la somme des actions individuelles et des interactions entre les personnes dans un contexte et un environnement structurants) à nous épuiser dans ce tourbillon pour maintenir le statu quo (empêcher le changement)?
Je vous invite à partager vos
réflexions et vos stratégies de lutte par
commentaires à la fin de cet article, car je vous prie (je vous
supplie!) de nourrir ma réflexion et de m'aider à choisir quel type
de résistance j'ai envie d'opposer à cet esprit de performance dans
un contexte d'accélération du temps et d'urgence d'agir. Je
m'adresse autant aux militant-e-s qu'aux non-militant-e-s puisque
toute réflexion autour du changement peut être utile, même si elle
n'est pas ancrée dans un contexte de luttes sociales.
Commençons
d'abord par décrire cet esprit de performance et à le situer dans
le contexte actuel d'accélération de la temporalité et de
grossissement spatial de ce qui est « notre réel »
postmoderne et de crises importantes qui appellent des actions
urgentes.
On ne cesse
dans le dire dans le discours commun : tout va de plus en plus vite.
Ça n'est pas qu'une phrase vide comme "y'annonce d'la pluie
demain", c'est un fait. Un fait social.
En sociologie, on parle
d'accélération de la temporalité (ou des temps sociaux); le temps
étant un donné objectif (le défilement des secondes) et subjectif
(la perception du temps, différente d'une espèce animale à
l'autre, et différente d'une société à l'autre, d'une époque à
l'autre, d'une culture à l'autre, d'un moment de vie - l'enfance, la
parentalité, la vieillesse - à l'autre). La temporalité est aussi
influencée par nos perceptions, surtout selon leur intensité : la
douleur durant la nuit (abcès, accouchement) ou une soirée super
agréable.
En littérature, la
temporalité réfère aussi à la façon de raconter l'histoire :
est-ce qu'on prend beaucoup de page (l'amplitude) pour raconter un
événement de courte durée ou est-ce qu'on décrit de façon très
sommaire toute une décennie?
Dans notre culture, la
temporalité est généralement vue comme un processus linéaire :
naissance, croissance, vieillesse, mort. C'est une temporalité qu'on
associe à la société de progrès : les choses avancent. De plus en
plus, la société postmoderne transite vers une temporalité
fragmentée où on ne considère plus la linéarité du temps comme
un fait objectif, mais comme un fait culturel contemporain. Et donc,
le temps n'est pas, par essence, linéaire, c'est notre perception
contemporaine du temps dans la société occidentale.
Cette introduction très sommaire
vise à d'abord situer comment j'aborde la notion de temps et
pourquoi je parle du temps comme d'un fait social. Ce qui est à
retenir, c'est que notre perception contemporaine du temps
(personnelle et culturelle) n'est pas une perception plus aigüe du
temps par rapport à nos ancêtres, mais bien une perception en
partie relative, modulée par notre vécu (environnement, éducation,
socialisation).
En ce sens, on peut déconstruire
cette notion du temps, on peut lutter contre cette perception du
temps, on peut y résister. Ce serait d'ailleurs une lutte
radicale contre cet esprit de performance qui en est le corollaire.
L'esprit de performance est,
disons, une éthique de la vie moderne. On doit être bon dans un
ensemble de chose et dans toutes les sphères de notre vie :
professionnelle, personnelle, familiale, sociale, etc. Les attentes
et les exigences sont élevées et on est appelés à s'y conformer
ou à en subir les conséquences. On nous a dit, en psychologie,
que notre actualisation (la pointe de la pyramide de Maslow de nos
besoins essentiels) passait par notre réalisation personnelle.
Également, on cultive le génie individuel, l'exception, la rareté.
Le système capitaliste met d'ailleurs une valeur très élevée à
cette rareté. On lit des biographies de personnes exceptionnelles,
on néglige et on n'aplanit le travail d'équipe et les mouvements
sociaux quand on parle des progrès sociaux, techniques ou
historiques. On lit des livres de psycho-pop qui insiste sur le
pouvoir de l'individu en faisant fi du contexte social ou en le
considérant simplement comme un facteur externe dont on peut se
distancier.
Toute société RÉÉCRIT son
histoire, peu importe sa prétention à l'objectivité. Je ne dis pas
ceci pour dénigrer le travail fondamental des historiens et
historiennes, ni la rigueur de leur travail, mais toute société
imprime une vision de l'histoire. Relire des livres d'histoire de
toutes les époques (écrits à toutes les époques), c'est
rencontrer différentes visions du monde, apprendre les consensus à
une époque donnée, connaître la sensibilité d'une époque ou, à
tout le moins, du discours dominant de cette époque - puisque c'est
la classe dominante qui réécrit et diffuse et socialise les membres
de la société à sa vision de l'histoire. Dans notre société
individualiste, on insiste sur les actions de quelques personnes
exceptionnelles (Albert Einstein, Martin Luther King par exemple). On
retiendra d'ailleurs Gabriel Nadeau Dubois comme la tête du
printemps érable alors qu'il n'en est (et sans réduire ses actions
personnelles, ce n'est pas mon propos) qu'une partie d'un tout bien
plus grand!
Ce culte de la personne géniale
conduit à une pression très élevée sur nos épaules qui mène à
au moins deux constats : nous DEVONS faire quelque chose pour nous
actualiser et donner un sens à notre vie et nous sommes
IRREMPLAÇABLES parce que nous sommes uniques.
Je ne crois pas que nos ancêtres
("nos" dans une perspective très large qui inclue toutes
les personnes passées avant nous peu importe la proportion d'ADN que
nous partageons) aient vécu cette vision du monde ni senti cette
pression (ils en ont senti d'autres!). On peut probablement faire un
lien entre ces deux exigences et le flou (ou le manque ou l'absence
ou son remplacement par nos croyances dans la science) de
spiritualité dans lequel nous avons grandi.
Maintenant, je pourrais ramener mon
discours à une dimension uniquement individuelle (on le fait
beaucoup quand on parle des problèmes des femmes... ça viendrait
toujours uniquement de nous-mêmes ou des autres femmes qui nous
entourent...) et nous taper collectivement sur la tête d'avoir
intériorisé individuellement l'éthique de la performance. Dans un
discours psychologisant, je vous conseillerais donc de déconstruire
vos schèmes mentaux de performance, de rester dans le moment
présent, de faire des choix, de fixer vos limites, de savoir dire
non, de cultiver la reconnaissance envers ce que vous avez, de voir
que vous êtes uniques, mais que nous formons un tout organique et
que vous n'êtes donc pas irremplaçables bien que vos apports, quand
ils sont authentiques, en restent des expressions uniques, etc.
Sans renier ces principes qui me
semblent être fondamentaux (mais qui appartiennent au vécu et à la
spiritualité de chacun-e et dont plusieurs textes ont déjà traité,
en particulier dans les différentes religions ou formes de
spiritualité), il ne faut pas oublier les faits matériels,
dans le contexte d'accélération de la temporalité, qui sont autant
de contraintes à se distancier individuellement de la société de
performance parce qu'ils sont très structurants (ils influencent la
façon dont toute la société envisage la vie, les échanges, le
travail, les attentes, la famille, l'organisation du temps et de
l'espace dans tous nos milieux de vie).
Je ne peux pas simplement me dire
que ça vient de moi, appliquer les principes énoncés précédemment
(et d'autres encore) et penser que tout ira pour le mieux! Non! La
société viendra me chercher (ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuhhhh!).
Là, vous avez peur que je tombe dans
un discours conspirationniste, mais ce ne sera pas le cas. Ce que je
veux dire, c'est qu'individuellement, chaque personne de notre
entourage dans nos différents milieux de vie (famille, travail,
études, voisinage, milieux communautaires, milieux militants) aura
des attentes influencées par cette perception qu'il faut agir ici et
là en toute urgence parce que les choses vont vite et qu'il ne faut
pas manquer le bateau (ou rater le momentum, le timing) et que c'est
stratégique d'agir comme ça. À l'échelle collective, ce sont tous
les membres de la société qui exerceront des pressions, à
différents degrés, pour qu'on ne respecte pas nos limites, qu'on ne
puisse pas faire de choix, qu'on vive avec le sentiment d'urgence
qu'on va tout gâcher si on ne pose pas tel geste, etc. C'est ça que
j'entends par l'expression "la société viendra nous chercher".
C'est ça que j'entends par la notion de faits matériels
structurants. On ne peut pas faire semblant que le fait que toute
personne qui envoie un courriel s'attende à recevoir une réponse
dans les 48 h et que dépasser ce délai c'est négliger cette
convention tacite et être en retard est seulement une
intériorisation mentale des attentes des autres. Ces attentes sont
des faits sociaux. Les décevoir entraîne des conséquences sociales
(on rate une entrevue pour un travail, on ne dispose pas du matériel
nécessaire pour une rencontre, etc.).
Si l'échelle temporelle a changé
dans les dernières années, l'échelle spatiale s'est
également modifiée vers une prise de contact très
vaste du réel mais très peu objective. On ne peut plus
se restreindre à des considérations communautaires et nationales
dans un contexte de mondialisation. On collabore et on soutient des
luttes sociales et politiques à travers le monde. On n'a jamais le
temps de s'informer de toutes les luttes, car on reçoit des
informations de partout – de tous les milieux et de plusieurs
points de vue avec les médias sociaux et les caméras de
cellulaires.
Alors que nos moyens de transport et
d'information ont rendu possible une prise de contact très vaste du
réel, les moyens de complexifier ce contact se sont également
développés en favorisant l'apparition de multiples intermédiaires
autant dans la production des biens que dans la production des
informations... ce qui fait qu'on joue constamment au téléphone
arabe et ce qui empêche une prise de contact objective ou directe du
réel. Ce grossissement énorme de l'échelle du social dans un
contexte d'accélération du temps doit être pris en compte
également. On est littéralement écrasés par l'information, par la
désinformation et par le détournement de l'information qui rendent
les non-dits et les manques d'information très difficiles à
percevoir, qui nous empêchent de valider les informations (par
exemple de retracer les industries qui produisent tel vêtement) et
qui nous polluent littéralement l'esprit en diminuant notre capacité
de faire des choix éclairés.
Toutes ces considérations et
explications autour de la temporalité qui s'est accélérée, de son
aspect structurant et matériel dans la société de performance et
du grossissement de l'échelle spatiale des luttes socio-politiques
m'amènent à me poser la question de COMMENT militer de façon
radicale à MON ÉCHELLE.
Suis-je une
poule sans-tête qui court dans toutes les directions avec un
sentiment d'urgence contre-révolutionnaire (contre-productif)? Oui
et non.
Non, parce qu'il y a des conditions
objectives d'urgence qui sont à la fois circonstancielles (moment
historique spécifique) et perceptuelles (augmentation de notre
capacité de se tenir informé-e-s sur des sujets partout dans le
monde) :
- Urgence environnementale avec les changements climatiques dont on commence à voir les premières catastrophes et dont nos enfants vivront avec les conséquences drastiques, avec la destruction des ressources naturelles limitées dont l'eau potable qui nous est vitale, avec les nouveaux projets pour trouver de nouvelles énergies dans un contexte de capitalisme sauvage;
- Urgence sociale avec les abus des systèmes culturels, étatiques, politique, économique, sociaux contre les droits des personnes, avec les multiples oppressions, la haine, les préjugés, les dominations de groupes sociaux sur les autres, avec l'occidentalisation des sociétés et cultures, avec la montée des intégrismes religieux et des idéologies conservatrice et néolibérale, avec le système patriarcal dont l'adaptation aux différents contextes historiques et culturels et dont l'interaction avec les différentes idéologies économiques, politiques, culturelles ou religieuses me renversent à chaque fois;
- Période de grands bouleversements dans un court laps de temps (guerres mondiales, changements politiques, mondialisation, remplacement des religions par la croyance dans la science);
- Urgence économique avec la crise du système capitaliste, les crises financières, les bulles qui éclatent et tous les programmes "sociaux" pour maintenir le système capitaliste artificiellement en fonction;
- Etc., parce que je vous laisse compléter pour celles et ceux qui en connaissent plus que moi sur le contexte historique spécifique actuel.
On ne peut pas relativiser les choses
en affirmant qu'il y a eu des guerres et des crises de tous temps.
Les choses ne se sont pas accélérées comme c'est le cas
actuellement. Il n'y avait pas de crise environnementale ni de menace
nucléaire ou bactériologique. On ne peut que constater que, comme
le disait si bien une amie hier soir, à l'instar des pays en guerre
où des bombes sautent tout autour, notre situation est différente
mais que l'urgence n'en est pas moindre parce que les violences et
les oppressions sont plus sournoises ou parce que notre position de
dominants nous empêche de considérer nos avoirs comme des
privilèges et comme des formes d'exploitation et de complicité aux
situations plus clairement catastrophiques. Cessons nos discours
relativistes qui ne servent qu'à justifier des postures paresseuses,
désengagées ou défaitistes pour légitimer le statu
quo.
Oui, je suis parfois une poule sans
tête parce que je réponds aux exigences de l'éthique de
performance. Parce que je n'ai plus le temps de m'arrêter pour
choisir mes batailles, pour prendre du recul face à ce sentiment
d'urgence qui m'étouffe et asphyxie mes facultés de lutter de façon
radicale, parce que je ne sais plus si la lutte locale est plus
importante ou moins que la lutte globale, ou si les besoins de mes
enfants (ceux qu'ils identifient comme tels; ils sont nombreux)
peuvent être temporairement repoussés au nom d'une lutte sociale
qui a/aura des conséquences sur eux ou sur d'autres enfants.
Mais en regard de tous les
facteurs matériels qui nous forcent à considérer la situation
objective comme étant une situation d'urgence, comment faire?
Sur le plan personnel de ma vie
quotidienne et de celle de mes proches, il est très difficile de
rester dans le système quand on adopte des postures radicales de
changement social. Travailler dans/avec le
système, c'est extrêmement confrontant et violent pour mes proches
et pour moi, pour mes enfants en particulier
qui sont laissés à eux-mêmes devant le système scolaire,
pris entre les discours égalitaires, subversifs, voire
révolutionnaires (pour les autres) de leurs parents et les discours
normatifs et prescriptifs du milieu scolaire ou plus largement des
discours sociaux haineux répétés puis intériorisés par les
enfants qui reproduisent entre eux le contrôle social violent et la
conformation des êtres à des normes pourtant oppressives.
Dans le contexte présenté
précédemment, travailler dans/avec le
système, c'est également extrêmement éreintant pour moi de devoir
répondre constamment à des attentes que je rejette. Je suis
dans le discours défensif, je dois me justifier, je ne suis pas en
train de construire concrètement un monde meilleur, je suis en train
de protéger ma bulle contre « les assauts » de la
société contre les personnes qui la remette en cause (encore un
raccourci intellectuel de personnification de la société, se
référer à l'explication ci-haut). Et « les ceuzes »
qui me connaissent savent à quel point je suis une personne modérée,
prête à me rallier, prête à faire des compromis, ouverte aux
désirs de mes enfants. Ce que je veux dire, c'est que je ne suis pas
volontairement ni ouvertement provocante. Le seul fait que j'agisse
différemment est considéré comme une provocation à laquelle il
faut réagir.
Enfin, travailler dans/avec
le système, c'est également craindre qu'à force de faire des
compromis et de choisir mes batailles, j'en vienne à ne plus adopter
une posture radicale et à devenir simplement réformiste,
c'est-à-dire à maintenir le système actuel en place, à empêcher
sa détérioration par quelques améliorations ici et là qui
contribuent à sa légitimité et qui légitime donc son pouvoir.
Parce que le système est envahissant, je le vois et je le vis de
plus en plus avec le fait que mes enfants montent les échelons
scolaires. Il définit, par ses attentes, ce qu'on fait de nos
soirées (les devoirs à remettre) et ce qu'on fait de nos fins de
semaine (les projets scolaires pour lesquels aucun temps n'est prévu
en classe), remplaçant tranquillement nos projets familiaux
personnels qui s'inscrivent en adéquation avec nos convictions et
nos désirs de changements en projets standardisés, conformes,
normatifs qui ne proviennent pas de nos intérêts ici/maintenant (ni
des miens ni de ceux de mes enfants) et qui réduisent notre temps
hors-école en l'appropriant pour l'école. Travailler
dans/avec le système, c'est donc également lui
céder du pouvoir pour lui-même, mais aussi lui céder du pouvoir
sur nous-mêmes par l'appropriation de ce qui devrait en être exclu.
Et
je ne mentionne pas les impacts sur nos enfants par rapport à cette
socialisation qui apprend à mes enfants que « pertinent »
est quelque chose qui est en lien avec la question posée par le
professeur et que « non-pertinent » est quelque chose qui
n'est pas en lien avec sa question (et donc, que c'est toujours le
professeur qui définit ce qui est pertinent, et que, si on pensait
avoir compris que c'était utile et même nécessaire pour gérer une
classe, on se rend vite compte, avec l'expérience, que c'est aussi
très utile pour nier le vécu et l'expression des sentiments des
enfants en les considérant d'emblée hors-d'ordre peu importe la
question posée).
De mon côté,
est-ce que mon temps concédé à mes implications diverses dans des
comités réformistes accapare mes ressources (énergie, temps,
argent) et réduit mon potentiel de changer les choses ici/maintenant
tout en envahissant mes espaces de vie quotidienne avec ma famille et
mon entourage en limitant les moments où je crée et pense le monde
par le fait de garder mon attention constamment centrée sur la
défense des acquis et la défense de mes droits et valeurs? Est-ce
que je ne risque pas de me retrouver, dans 5 ans, à faire exactement
les mêmes gestes? Est-ce que le nombre de présentations,
consultations, réunions, petites victoires n'est qu'une façon
stratégique inconsciente ou consciente pour le gouvernement ou
toutes les autres instances de perdre les militant-e-s dans ses
structures, de les épuiser et de maintenir de ce fait sa légitimité
(il a l'air d'écouter et de prendre en compte), sa démocratie de
façade et le statu quo sur le changement social? Suis-je une idiote
utile de la société actuelle dont les actions sont invisibilisées,
perdues dans le tourbillon d'informations et de structures et dont le
potentiel révolutionnaire est par conséquent annulé ou fortement
amoindri? Est-ce que certains groupes anarchistes ou qui affirment
agir en dehors du système par le biais notamment de la démocratie
directe ne tendent pas à faire la même chose en réduisant le temps
de chacun-e pour les actions concrètes dans la vie de tous les jours
par des délibérations qui n'en finissent plus, des prises de
position qui ne changent rien dans les faits parce que personne n'y
donne suite, ou par des actions directes qui reproduisent, dans leur
processus, les dominations comme le sexisme ou le racisme ou le
capacitisme notamment. Travailler dans le système, même
dans ses marges, c'est fatiguant, compromettant pour les compromis
qu'on fait sur nos valeurs, risqué probablement, frustrant... et
pendant qu'on lutte sur la défensive ou « en réaction à »,
est-ce qu'on vit?
Mais si je me retire du système
le plus que je peux (entre autre en cessant mes implications dans
des luttes réformistes ou pseudo-radicales, en retirant mes enfants
de l'école, en cessant mon implication dans leur école, en côtoyant
le plus possible des familles qui ne confrontent pas constamment nos
convictions), le système viendra à ma rencontre (les
« audits » du gouvernement fédéral pour suspendre les
allocations familiales des familles qui font l'école-à-la-maison;
les signalements répétés à la DPJ qui n'ont rien à voir avec sa
mission mais qui sont du harcèlement à des fins de contrôle social
parce qu'ils sont retenus sans égard aux lois ou au bien-être des
enfants; la perte de services, l'absence de solution de « garde »
de rechange pour ne pas que mon choix repose entièrement sur mes
épaules – sur les épaules des femmes dans un souci de partage
égalitaire et d'implication des hommes, deux aspects fondamentaux
pour lutter contre la société patriarcale – , les préjugés
énormes et la pression des pairs – enfants comme adultes, surtout
les adultes –, etc.).
Mais est-ce que ce serait plus
révolutionnaire (j'entends par là : plus susceptible de
générer des changements profonds dans le système social et
d'empêcher la reconfiguration des inégalités sous des formes
différentes)? Moins confrontant au quotidien? Moins violent pour mes
enfants et pour nous-mêmes, malgré la marginalisation qui s'en
suivrait? Plus constructif, plus intéressant, plus créatif, plus
vivant, parce qu'on travaille à créer ici/maintenant un monde
meilleur parallèle, malgré toutes les limites de ce monde et tous
les moyens du monde global d'investir ce monde parallèle?
Je connais des familles qui ont
fait le choix, comme ma famille, de travailler dans le système;
d'autres, de s'en retirer. Est-ce que c'est deux « méthodes »
sont complémentaires ou est-ce que seule la seconde entraînera des
changements sociaux radicaux?
C'est ainsi que j'ai choisi d'entamer
un 24 h de lâcher-prise complet. Au tiroir la "to-do-list"
de ma vie quotidienne engluée de l'esprit de performance (économiser
le plus possible, manger le mieux possible, passer le plus de temps
possible avec les enfants, vivre le plus simplement possible, me
réaliser, ne plus fumer - j'ai arrêté mais j'y pense chaque jour
quelques fois -, m'informer le plus possible, lire un chapitre de ce
livre pour un cours, avancer un projet de recherche pour le travail,
agir localement, virtuellement et globalement dans différentes
luttes égalitaires et écologiques, etc.).
Pour 24 h, je m'arrête au complet
dans mes "il faut que" et je souhaite grandement que vos
réflexions m'aident à y voir clair et puissent être des sources
d'inspiration pour moi, mon sentiment d'urgence, ma militance et les
impératifs de la vie quotidienne ici/maintenant avec des enfants et
des projets.
Radical, radicelles, racines ; pour avoir des engagements profonds et radicaux, être ancrée/enracinée est aidant pour moi. C'est-à-dire : sentir que je fais partie d'un mouvement plus large que moi-même, ne pas être épuisée pour sentir la vie/énergie qui circule, laisser place à une temporalité élastique (accepter l'intensité de certains moments vécus comme le partage de moments de naissance ou de fin de vie ET la répétition de certains moments faisant partie de la routine des enfants pour leur bien-être), avoir des moments de grands projets énergiques en alternances avec des périodes de jachères. Mes multiples implications me nourrissent et nourrissent la Terre et l'humanité, mais ça ne fait plus de sens quand je suis épuisée... Bref, je suis une plante (une pensée je crois !) dans un grand jardin humain ;) Merci pour la précieuse réflexion partagée. xx
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