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Ces seins qu'on ne veut pas voir sauter... OU l'expérience bouleversante de la non-mixité


Je reviens de l'excellent Cabaret du 8 mars à l'AgitéE pour fêter la journée internationale des femmes où j'ai passé une rare soirée merveilleuse dans un bar de Québec!

... sans me faire frôler par des mains anonymes balladeuses
... sans avoir à supporter des femmes-objets-marionnettes-animées pour qui la danse n'est plus un mouvement libérateur et créatif, mais une pièce d'un jeu de séduction sans cesse rejoué où le corps est mis en vente sur le marché des corps-sexes pendant que les hommes-sexes-ambulants, hommes-objectifiants entourent la piste de danse et jugent de la marchandise présente où que ces hommes-chasseurs s'insèrent dans des cercles à la recherche de corps-à-frotter et idéalement, de corps-à-ramener-ce-soir.  (Aie-je besoin de préciser que les féministes rejettent ce postulat d'hommes-sexes-ambulants, hommes-violeurs?)

... sans avoir à craindre qu'on mette du GHB (drogue du viol) dans mon verre et que je me réveille avec des souvenirs brumeux et une peur au ventre.

Je rêve d'une soirée comme celle du 8 mars en mixité dans tous les bars et partys. J'en rêve, je le répète, au nom de l'égalité. Quand on aura achevé la révolution féministe radicale (révolution de l'ici/maintenant, de chaque geste que l'on pose, de chaque discussion que l'on tient, de chaque fois que l'on tient tête, de chaque consentement que l'on donne, de chaque "non" que l'on dit), ce sera comme ça dans toute la société!  Les femmes seront reconnues en tant qu'êtres complets : des êtres qui pensent, qui vivent, qui dansent, avec des seins qui sautent et les vêtements de leur choix.

J'aurais voulu que mon chum voit, que mes amis-de-gars voient aussi, j'aurais voulu que le monde entier voit, que facebook voit... 

mais ça aurait tout gâcher. Parce que les rapports sociaux de sexe sont ce qu'ils sont. Parce qu'on apprend depuis trop longtemps que les hommes sont des prédateurs sexuels, que les femmes sont des proies-à-chasser, que leur amitié est impossible, que leur relation DOIT être basée sur la séduction, que l'homme DOIT être le seul juge de notre valeur, valeur qui passe par notre apparence physique et notre capacité à montrer une soumission (à ne pas tenir tête sous peine de sanctions parfois très violentes - viols, rejet social, humiliations), que la femme DOIT chercher l'approbation des hommes jusqu'à en compétitionner avec d'autres femmes pour leur attention.

TOUT ÇA, ce sont des accroires, des mensonges de la société patriarcale. 

Je le voyais aux cours de Zumba de la YWCA. Tant qu'on était entre femmes, on voyait des femmes sauter et bouger librement. Dès qu'un homme passait près de la porte-fenêtre, les femmes rajustaient soudain une mèche de cheveux, remontaient un pantalon, s'essuyaient les coins de lèvres, revenaient à des mouvements moins extravagants, moins susceptibles de faire bouger ce qu'on a de graisse sur notre corps... bref, réintégraient ce carcan invisible qui pèse sur nous au quotidien dans la mixité.

On dit que les adolescentes feraient deux fois moins de sports que les adolescents, tandis que les enfants feraient la même quantité de sport peu importe leur sexe.On explique cette différence non pas par des raisons biologiques (le classique pour nier les rapports sociaux de sexe et inventer une inégalité naturelle intense), mais plutôt par des raisons sociales.

Pas parce que c'est la mixité qui rend impossible de se libérer du carcan, mais parce que la société patriarcale définit nos rapports sociaux en mixité et nous contraint dans des relations réduites à la séduction avec l'impératif pour les femmes de plaire aux hommes : commentaires répétées sur notre apparence physique depuis notre enfance (enfant, ces commentaires sont souvent fait à la 3e personne "elle a de beaux cheveux, votre fille", "elle a pris un peu de poids, non?"), omni-omni-omni-omniprésence de femmes-objets dans l'espace public, commentaires d'hommes sur l'apparence des femmes-objets ou commentaires objectifiants inappropriés et hors-contextes (sur les "boules" de la présentatrice météo, par exemple), socialisation genrée qui insiste fortement sur l'apparence des femmes ainsi que sur la restriction de notre liberté de mouvement (j'y reviens après), mensonges sur les rapports hommes-femmes qui exercent une pression sur toutes les personnes peu importe leur sexe, mais qui posent la prémisse que les hommes dominent les femmes, etc.


Car enfin, c'est ça qui m'a le plus marqué de cette seconde soirée en non-mixité (seconde pour moi) pour fêter le 8 mars : la liberté de mouvement des femmes.

On apprend très tôt à restreindre notre liberté de mouvement : les robes qui menacent sans cesse de montrer notre petite culotte et qui nous empêchent de faire les acrobaties au parc, les collants de nylon qui descendent tout le temps et/ou qui piquent, les cheveux bien tirés qu'il ne faut pas décoiffer pour la fête de Noël (parce que ce sera beau sur les photos à minuit), les souliers qu'on a hâte-en-criss d'enlever, les manteaux à manches et épaules serrées qui nous font un corps bien moulé parfaitement féminin même quand nos courbes naturelles n'y correspondent pas! (et idem pour les hommes dont le manteau leur sculptent des épaules souvent absentes et effacent toute trace de taille ou de hanche!).

La liberté des seins (ou des seins en liberté ahah! seins désexués)

Une fois que nos seins poussent, on apprend que leur mouvement est gênant (quand on ne trouve pas soi-même que leur mouvement nous gêne!). Il est gênant parce qu'il est associé à la sexualité. Des seins qui bougent, c'est supposé être excitant... ce sont des seins que l'on balance au rythme d'un bassin-autre. Des seins qui bougent, même quand ça arrive dans d'autres scènes que celles de la pornographie, on les repasse au ralenti et on les diffuse sur internet pour bien sexualiser les femmes dans tous les contextes.

Parce qu'une femme, C'EST UN SEXE POUR LE SEXE FORT. Les seins, c'est juste un morceau de sexe. Ça me rappelle que je ris toujours jaune en écoutant le toune de Plume Latraverse qui fête la libération des femmes parce que, pour les hommes, c'est ben plus beau de voir les "totons" partout.

Nos seins sont tellement sexualisés (et Dieu que l'allaitement en public me l'a démontré!), qu'on se moque de nos mamelons apparents (qu'on interprète tellement bêtement par un désir sexuel montant, alors qu'il suffit d'un frisson, d'un courant d'air ou d'une tétée à venir ou achevée pour que l'érection du mamelon se déclenche!).

Pour cacher ce mamelon "que l'on ne saurait voir", on applique de gros bonnets épais qui en cache l'existence (puisque certains hommes croient pouvoir nous psychanalyser sur l'érection de nos mamelons). Pour ne pas qu'ils bougent ou qu'ils attirent l'attention alors que ce n'est pas ce que l'on souhaite, on les attache bien serrés.  Pourtant, il suffirait qu'on NOUS SACRE PATIENCE avec nos seins, c'est-à-dire qu'on BRISE l'association entre seins et sexe. Au quotidien, nos seins sont juste une autre partie de notre corps! Et pour les mamans allaitantes, ils ont une autre couche de significations : ce sont de merveilleux seins nourriciers! Et finalement, chacune considère à sa façon chaque partie de son corps : pour certaines, le sein est la partie détestée, pour d'autres, elle est symbolique, pour d'autres encore, c'est leur fierté!

Peut-on imaginer un monde où tout le monde se foutrait de nos seins? où on attacherait nos seins comme on veut pour NOTRE PROPRE CONFORT dans nos activités quotidiennes (serré pour le sport, plus lousse ou pas attaché pour le jour, avec de bonnes bretelles pour les plus volumineux, libres de tout soutien quand ce n'est pas nécessaire, etc.)? Où on aurait une érection de mamelon (parfois un seul mamelon, c'est drôle!) sans créer un malaise, sans en sentir un et sans même que ce soit un "événement"? Le peut-on? Ça a l'air que c'est féministe de l'imaginer! 

Comment vous expliquer la liberté des femmes en situation de non-mixité! En avez-vous déjà fait l'expérience?

La première fois, j'étais contre l'idée... je trouvais ça sexiste (ben oui, même moi!). J'aurais voulu que mon chum puisse fêter avec moi cette journée importante et qu'on puisse se ressourcer ensemble avec d'autres féministes et proféministes engagé-e-s. Mais après la soirée, j'étais convaincue que la non-mixité était encore pertinente et essentielle, parce que j'ai vu l'impact sur les femmes d'être libérées d'une pression invisible... parce que j'ai vu leurs corps bouger comme jamais!

Même les athlètes professionnelles, jusqu'aux athlètes olympiques, sont constamment ramener à la conscience de leur apparence physique. Elles ne peuvent pas  l'oublier, même le temps de performer. Leurs vêtements sont conçus pour mettre en valeur leur corps, pour vendre leurs commandites (parce que la pratique de sports professionnels est très coûteuse). Elles ne peuvent pas se contenter de performer comme le font leurs homologues masculins : elles doivent se conformer l'impératif patriarcal de PLAIRE, c'est-à-dire de répondre aux standards de corps objectifié, standards de plus en plus pornographisés.

Parfois, leurs tenues ne sont carrément plus adaptées à la pratique de leur sport (football, volleyball de plage : ici, un homme "recense" les moments marquants du volleyball olympique féminin, c'est-à-dire JUSTE des photos de fesses de femmes avec généralement l'uniforme dans la crac...; parce que je ne vous mens pas, voici des photos de leurs homologues masculins) et on les voit se sortir les bobettes de la crac de fesses juste avant de s'élancer dans les airs pour faire une attaque! C'est absurde... mais ça perdure. Ne tapez surtout pas dans Google "athlètes femmes célèbres"... on dirait une série de couvertures du Summum... les voir à l’œuvre dans leur excellence sportive? ON S'EN SACRE quasiment! C'est répugnant. Mais c'est ça qu'on propose aux femmes et aux filles, en 2014, qui sont passionnées de sport : performe et plaît (ou perds tes commanditaires!).  

Tout ça pour dire qu'il existe finalement une contradiction concernant la liberté de mouvement des femmes... ou plutôt deux faces opposées d'une même médaille.

D'un côté, on se moque des femmes dont le corps bouge avec elle (ce qui est le propre du mouvement, je fais juste le mentionner). On rit du film Big Mamma (1, 2, 3, 4?), essentiellement centré sur l'humour grossophobe (contre les grosses) et sur les gros seins qui sautent.

D'un autre côté, pour les femmes dont le corps musclé et sculpté correspond mieux aux standards de beauté (quoique les muscles, c'est moins apprécié), l'impératif de séduire, d'être constamment ramené à l'objectification du corps, à sa sexualisation, est encore PLUS FORT!

Pas de liberté, dans les deux cas. On doit cesser de bouger ou bouger sans faire bouger certaines parties de notre corps dans le premier cas; et bouger sous certaines conditions de sexualisation et d'objectification dans l'autre.

Mais le 8 mars, c'était la liberté de mouvement TOUT SIMPLEMENT! 
La liberté, avec tout ce qu'elle a de bouleversant... avec les prises de conscience qu'elle nous amène à faire : nous ne sommes pas libres, pas encore!

Des femmes de tous les styles, de tous les milieux : des hippies, des granos, des anarchistes, des communistes, des péquistes, des libérales, des solidaires, des lesbiennes, des hétéros, des minces, des moyennes, des grosses, des grandes et des petites, des maquillées, des coquettes et leurs contraires, des poilues, des rasées, des épilées, des jeunes et des vieilles, ETC (c'était toutefois majoritairement blanc, là-dessus, on aurait certainement un travail à faire).

Et TOUTES bougeaient à leur façon. Certaines prenaient plus de places, certaines moins, certaines faisaient des passes extravagantes, d'autres jouaient le-gars-qui-danse-avec-les-mains-dans-ses-poches, certaines faisaient le spectacle, d'autres regardaient en riant, etc.

C'était LA folie! LA liberté de mouvement. Celle que j'appelle pour nous toutes.

Je ne connais pas toutes ces filles. Je ne sais pas comment elles se comportent en situation de mixité (avec des hommes et des femmes), ni comment elles se préparent pour une soirée mixte versus non-mixte. Mais ce soir-là, il y avait une nette différence, une différence évidente, visible, sentie, dans le comportement des femmes présentes. On pourra peut-être diffuser certaines parties de la soirée, je vous tiens au courant :).

On tente de se maintenir libres en mixité malgré les oppressions, l'intimidation et les pressions sociales? C'est un projet féministe qui serait vraiment intéressant, mais extrêmement difficile. Bon courage à toutes pour la révolution féministe (et je ris toujours en écrivant le mot "révolution" qui n'a surtout pas de sens violent dans ma bouche/sur mon clavier).

En attendant, laissons nos corps bouger librement sur "Break the Chain" (brise les chaînes) de One Billion Rising (mouvement mondial pour la libération des femmes contre les violences faites aux femmes).

Nous sommes belles, nous sommes merveilleuses, nos corps (dans toute leur diversité!) sont merveilleux!

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