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Pour un calendrier de l'avent sans charge mentale

À la veille du 1er décembre, il est difficile d'éviter le sujet du calendrier de l'avent. Ce concept judéo-chrétien pour nous faire patienter jusqu'à Noël. J'ai envie de vous offrir deux calendriers de l'avent bien particuliers. Je vous explique pourquoi.

Historiquement, l'avent était une période de jeûne, d'abstinence et de pénitence, tout comme la période du carême qui précède Pâques. Difficile de justifier l'esprit qui a pu placer un petit chocolat dans chacun des compartiments du calendrier de l'avent commercial pour les 24 jours précédant Noël! 

L'avent est de nos jours une période de petites douceurs quotidiennes avant la grande abondance des fêtes. Entre les deux - et dans certaines familles encore aujourd'hui - le calendrier de l'avent suggère une bonne action à faire chaque jour, ou une prière, ou une image sainte. J'ai même vu un calendrier de l'avent féministe, un calendrier de l'avent des femmes inspirantes et un calendrier pour l'égalité des femmes au travail (ça commence à être pointu!).

Chaque année, nous sommes plusieurs parents, mères en particulier, à culpabiliser de ne pas avoir préparé ce merveilleux calendrier de l'avent formé de petites pochettes tricotées à la main ou d'autres idées trouvées sur Pinterest

Dès lors qu'on discute des rituels précédant les fêtes, il est difficile de se sentir à la hauteur entre celles* qui achètent le pyjama familial assorti de Noël, celles qui font les photos professionnelles de Noël, celles qui ont un-e lutin-e farceur ou farceuse, celles qui ont acheté les cadeaux en octobre, celles qui les ont fabriqué elles-mêmes et celles qui ont cuisiné tout maison. Et même ces "celles"-là, je suis certaine, trouvent le tour de sentir qu'elle pourrait faire mieux. C'est la folie de Noël!

*Je ne féminisme même pas, je sais que la charge mentale des fêtes incombe aux femmes (1), aux mères en particulier.

Un calendrier de l'avent tricoté

L'avent en temps de COVID

Cette année, les mesures sanitaires amènent un sentiment de vide encore plus grand. Un trou béant. 

Et l'être humain déteste le vide. La société capitaliste le sait et table sur ce sentiment angoissant pour créer ses publicités et ses gadgets. 

L'être humain souffre du vide et est prêt à le combler de n'importe quoi, pourvu qu'il n'y ait plus de vide (l'alcool, la nourriture, le sexe, les distractions comme Netflix ou faire des achats). Dans ce contexte, je n'ai pas été étonnée de recevoir des calendriers de l'avent de la part de l'école des enfants.

En fait, je ne serais pas étonnée que les genses soient particulièrement intenses, en cette fin d'année 2020, pour combler ce sentiment de vide. Ce sera une frénésie historique du remplissage.

Seize journées de charge mentale, really?

Un petit détour chez une proche pour prendre un café dehors et le sujet est vite arrivé : elle a 3 calendriers de l'avent, 3 scénarios d'activités du 1er au 16 décembre. Elle devra se remémorer que le 3 décembre, c'est enfant-1 qui doit s'habiller en rouge, enfant-2 en pyjama et enfant-3 apporte son déjeuner, mais le 6 décembre, c'est une autre formule (je présume, je n'ai pas analysé ses calendriers, j'en ai déjà bien assez des miens!). Je sens la lourdeur de la charge. 

Même la journée pyjama... On peine à seulement avoir des pyjamas dont le haut et le bas sont assortis, ici! Sans blague, on adopte le concept bobette-camisole! J'ai pensé que ce serait drôle de les envoyer à l'école en bobette-camisole juste pour montrer l'absurdité de se mettre autant de pression.

Je me console : la maman qui a acheté des pyjamas thématiques assortis pour toute sa famille sera contente qu'ils servent pour cette activité.

De mon côté, j'ai jeté l'éponge (et fait une multitude de publications facebook à ce sujet, année après année, avec différentes attitudes allant du compromis à l'abandon en passant par la culpabilité et la détresse) : si mes enfants arrivent en rouge le 3 décembre, ce sera soit dû au hasard, soit parce qu'elles se seront autonomisées pour gérer le calendrier de l'avent. Maman "s'en bats les c'", comme elles disent.

Décembre, décembre

Novembre et décembre sont des mois difficiles pour la santé mentale : 2 à 3 % de la population souffre de dépression saisonnière (2). Et avec la pandémie, la santé mentale est fragile. C'est une situation qu'on ne peut ignorer. 

En fait, ça me sidère que, depuis le début de la pandémie, on fasse grosso modo pas mal comme si tout était normal - je veux dire, à part les 3 semaines où on se disait hypocritement "ça va bien aller" et qu'on excusait tout.

Or, ce genre de course-de-chiens-fous de calendrier de l'avent ignore complètement cette réalité. Parmi les enfants, nombre de parents combattent actuellement une dépression, saisonnière ou pas. D'autres tentent de maîtriser un trouble d'anxiété généralisé décompensé. Pour plusieurs, on essaie juste de ne pas craquer et de préserver notre santé mentale, à travers les échéanciers tout aussi fous reliés au travail, la fatigue relié au fait de devoir "se réinventer" dans nos pratiques en mode COVID, la course des achats de cadeaux avec le masque qui embue les lunetttes, les préparatifs des fêtes et la santé de nos proches qui ballotent. D'autres doivent gérer leurs sentiments mitigés à l'approche des fêtes : enfance malheureuse, événement traumatisant, souvenir douloureux, relations difficiles avec la famille, etc. Ça fait beaucoup. 

Et notre niveau d'énergie individuel et collectif est bas. En fait, nous sommes à deux doigts de péter les plombs. Je le constate chaque fois que je fréquente un service public, un magasin, la route.

Quand je reçois ce genre de courriels de l'école, ou du travail, ou de la famille, j'ai juste envie de sortir dans la rue, de me mettre à genou et de hurler HYSTÉRIQUEMENT-avec-tout-mon-utérus en pleurant-criant chiquement comme je sais si bien le faire : "POURQUOIIIIIIIIII?"

Oui, sérieusement, pourquoi? 

Si la mise en scène porte à rire, la question est très sérieuse. Rationnellement, si tant d'humain-e-s souffrent à cette période-ci de l'année, et que cette année particulièrement, c'est d'la marde, pourquoi on s'en rajoute? Mais l'être humain n'est pas un animal rationnel, il a peur du vide.

La réponse logique à la fin de l'automne serait l'hivernation : fermer les activités estivales, ranger les cannages et tout le travail que l'automne apporte avec son abondance, ralentir, chercher la chaleur dans le froid qui s'amène, se blottir au coin du feu, accueillir la noirceur. Le corps humain multi-millénaires est adapté pour ça (lire La théorie du continuum de Jean Liedloff). Au contraire, il craque dans la frénésie de l'avent. Il n'est pas préparé à ce sprint annuel avant les vacances des fêtes, alors même qu'il est au bout de son énergie. 

Laissez passer novembre et décembre ou rencontrer l'Enchanteresse

J'ai pour mon dire de ne jamais prendre de grandes décisions en décembre. Décembre est comme un syndrome pré-menstruel (SPM) - plus gentiment appelé l'Enchanteresse. Celle-ci nous permet de laisser aller ce qui n'est plus nécessaire, de voir ce dont nous avons le plus besoin, de se connecter à son corps pour pouvoir aller de l'avant avec ce qui est présentement, et non ce qui était ou ce qu'on voudrait qui soit. 

 

déesse dans l'orage

Tous les malaises, colères, irritations et frustrations remontent, comme cette boule de neige que l'on brasse pour admirer le brouillard des flocons de neige. On en a marre du travail, on se questionne sur nos choix de vie, notre partenaire, le sens de notre vie; on atteint nos limites!

Ce n'est pas le temps d'y réagir. C'est le temps d'en prendre connaissance, de s'observer, d'apprendre à se connaître ou à se re-connaître. C'est le temps de laisser les flocons s'agiter et de se dorloter dans le brouillard. C'est le temps de simplement survivre jusqu'aux Fêtes. 

Malheureusement, comme plusieurs, on se retrouve complètement submergé-e-s en décembre : la fin de session, les examens finaux, les mandats d'automne à terminer au travail, les spectacles de Noël des activités artistiques et sportives des enfants, ou les nôtres, les préparatifs des fêtes. Et comme plusieurs, année après année, on se retrouve libéré-e-s magiquement de nos occupations entre le 20 et le 23 décembre, pour se ruer en cuisine ou dans les magasins et tenter de faire bonne figure le 24 au soir. Quelles absurdités!

Ce n'est vraiment pas le contexte idéal pour votre notre Enchanteresse annuelle. On devrait pouvoir la vivre enroulé-e-s en boule dans notre couverture préférée aussitôt les tâches essentielles effectuées. On devrait pouvoir la bercer sur la galerie en admirant un lever ou un coucher de soleil (tout en célébrant l'hiver qui nous permet d'admirer les deux chaque jour sans pour autant faire de courtes nuits). On devrait pouvoir la nourrir de mèmes de chat réconfortants.  

Mon beau chat-pin de Noël (jeu de mot)

Un calendrier de l'avent du care*

Le care est le fait de prendre soin des autres, voire de prendre en charge les enfants, les personnes malades et les personnes vieillissantes. Joan Tronto définit ainsi le care : "au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré́ comme une activité́ générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie" (3). 

Plus encore, il réfère à la société du care, une société qui permet à la fois de prendre soin de soi tout en prenant soin des autres, en reconnaissant ce travail de soin, sans que ces soins soient systématiquement sur les épaules des femmes. Plusieurs auteures féministes ont traité de cette société (4). 

Mon premier calendrier de l'avent est donc un anti-calendrier. Il n'a rien de prescriptif. Il ne vise pas à donner aux autres ou à se donner à soi-même. Il n'engage aucune dépense et nécessite très peu d'énergie. Il vise simplement à se rendre indemne jusqu'aux Fêtes... et même... peut-être... à y arriver plus serein-e-s.

 Calendrier de l'avent sans pression

Calendrier illustrant 24 recommandations pour ne pas se mettre de pression.
Parce que je suis vraiment généreuse, je vous en propose un second, un réel calendrier du care, si des recommandations et des suggestions ne vous paraissent pas trop vous demander. Si c'est le cas, reportez-vous au premier calendrier ci-dessus. Dans ce deuxième calendrier, il faut venir tous les jours pour voir apparaître les nouvelles suggestions de care. Bon selfcare de décembre!
 
Calendrier de l'avent selfcare
 
 
Ce calendrier est inspiré du magnifique dépliant du Mouvement santé mentale Québec, un bel outil pour passer l'hiver.
 

 

(1) MamZell Tourmente, "Une critique féministe des lutins de Noël". http://mamzelltourmente.blogspot.com/2018/12/une-critique-feministe-des-lutins-de.html

(2) Carrier, "Dépression saisonnière : un mal bien réel", La Presse, 17 novembre 2015. https://www.lapresse.ca/vivre/sante/201511/17/01-4921721-depression-saisonniere-un-mal-bien-reel.php

 (3) Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, [1992] 2009.

 (4) Voir en particulier Nakano Glenn Evelyn, « Pour une société du care », Cahiers du Genre, 2016/3 (HS n° 4), p. 199-224. DOI : 10.3917/cdge.hs04.0199. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2016-3-page-199.htm

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