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Les symboles du convoi de la liberté de Québec : des drapeaux qui donnent froid dans le dos

La semaine dernière, des citoyennes féministes engagées ont dénoncé le mouvement du Convoi de la liberté 2022 vers Québec et le siège des capitales provinciales et fédérale canadiennes. Elles sont allées sur place dire «Non aux fachos et aux camions, Non aux intimidateurs et à la police. Vive les manifs!»

Qu'ont-elles vu, sur place?

Bruit infernal, odeur de tuyau d'échappement, abondance de drapeaux du Canada, des drapeaux du Québec et quelques drapeaux des patriotes. Dans la foule et attachés aux véhicules circulant en boucle au centre-ville, 3 d'entres eux ont attiré leur attention. D'où viennent ces drapeaux et que symbolisent-ils?

Le Gadsden flag et le Tyranny Response Team

Drapeau libertarien "Dont' tread on me"
Drapeau Gadsden au Convoi de la liberté 2022 Québec

Le drapeau jaune orné d'un serpent à sonnette et du slogan "Don't tread on me" (Ne me marche pas-dessus), le Gadsden flag, est un drapeau nationaliste américain et un symbole associé aux groupes libertariens et suprématistes blancs. Originellement choisi par Benjamin Franklin, un des pères fondateurs des USA, pour représenter les 13 colonies américaines, puis la révolution américaine, il a depuis été repris par divers groupes. Le symbole du serpent à sonnette légitime l'usage de la violence en cas de menace, violence qui peut être mortelle comme sa morsure. 

Lors de l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021 par des manifestant-e-s trumpistes, il a été utilisé, tout comme lors de manifestations pro-Trump et de meurtres haineux. Aux États-Unis, il est repris par les groupes opposés aux mesures sanitaires.

Drapeaux nationalistes pro-Trump lors de l'assaut du Capitole
Source de l'image : France info, 7 janvier 2021

On peut constater avec grand trouble la proximité des mouvements nationalistes pro-Trump avec celui du convoi. On y retrouve la même abondance de drapeaux nationaux et symboliques de la nation, le même discours d'opposition à un gouvernement oppresseur de la nation (Fuck Biden / Fuck Trudeau), le même appel à la liberté "Freedom".

Le jeune homme qui arbore le drapeau jaune porte un chandail à message libertarien "Tyranny Response Team" ou TRT, un mouvement anarchiste/libertarien américain qui regroupe différents groupes sur internet dont la mission est parfois de protéger et de défendre la constitution [américaine], parfois de surveiller la police et le gouvernement. 

Sur le groupe facebook arborant le même drapeauon peut y lire que "The Tyranny Response Team (TRT) is a dedicated group of volunteers who hold peaceable demonstrations, protests and rallies against acts of tyranny by governments and other entities that violate our unalienable rights" (traduction libre : Le Tyranny Response Team (TRT) est un groupe de volontaires dédiés qui tiennent des démonstrations pacifiques, manifestations et rassemblements contre des actes de tyrannie par les gouvernements et autres entités qui violent nos droits inaliénables). Un autre exprime concrètement que si tu es pour la vérité et la liberté et contre l'usage de la violence et de la répression par les gouvernements contre ses propres citoyen-ne-s, alors tu peux faire partie du TRT. Les publications sont essentiellement pro-armes à feu, contre les politiques démocrates et contre la police.

On peut facilement trouver des t-shirts à son effigie sur plusieurs sites en ligne. Sur Amazon, sous la mention que le t-shirt est lavable à la machine, on peut lire : 

  • A libertarian shirt for a minarchist, anarcho-capitalist, market anarchist, or classical liberal who loves libertarian humor grab this t shirt
  • Spread liberty and freedom by wearing libertarian clothing.
(Traduction libre : Un chandail libertarien pour un minarchiste, un anarcho-capitaliste, un anarchist du libre marché ou un libéral classique qui aime l'humour libertarien, prend ce chandail; Répand la liberté et la liberté en portant un vêtement libertarien.)

Sur l'une des chaîne Youtube "Tyranny Response Team", on peut y lire le constat que nous sommes dans une période trouble où la vérité s'apprête à être révélée : les grands oligopoles de l'agriculture et des pharmaceutiques qui contrôlent notre alimentation et notre santé; le complexe militaro-industriel qui entraîne des guerres incessantes à travers le monde pour maintenir les activités économiques. On semble être dans la conspiration (le nouvel ordre mondial) plutôt qu'une dénonciation du système économique capitaliste, mais ce n'est pas clair.

Pour Sébastien Carré, spécialiste de la pensée libertarienne, le libertarisme américain est plutôt contradictoire : 

« C’est ancré dans l’histoire du mouvement qui est en fait une coalition entre les libéraux de l’extrême droite du Parti républicain, qui ne s’entendaient plus avec les conservateurs, et de l’autre la contre-culture, la nouvelle gauche. […] Le pluralisme auquel le libertarianisme veut faire face se retrouve au sein même du mouvement, parce que c’est une pensée minimale dans laquelle beaucoup de cultures, de visions voire de religions peuvent se retrouver. Je distingue dans mes travaux quatre ou cinq stéréotypes de libertariens : le redneck qui est pour le port d’armes, fondamentaliste, croyant, parfois islamophobe, souvent homophobe. Le libertarien hippie qui vient de la gauche, de la contre-culture, qui s’adonne à toutes les pratiques qu’il souhaite voir autoriser. Le libertarien “preppy”, BCBG, qui est inséré dans l’establishment washingtonien, qui travaille pour les partis. Et les “randiens” [adeptes de Ayn Rand, ndlr], qui constituent une secte à part. On peut aussi ajouter le cyber-libertarien, geek et adepte de science-fiction. »

Le libertarisme se distingue de l'anarchisme. Ce dernier rejette également l'état et ses structures, il prône également la liberté, mais également l'égalité et l'autonomie. Son instrument, plutôt que les armes, la propriété individuelle et le chaos du libertarisme, est la démocratie directe.

Le drapeau QANON

Drapeau QANON au Convoi de la liberté 2022 Québec

Ici, on a affaire à un drôle de message : un drapeau conspirationniste QANON et un drapeau LGBTQ+ #Lovewins en soutien aux mariages gays et lesbiens.

QANON est un individu Q anonyme publiant de façon cryptée sur des forums obscurs du web. Il se présente comme un agent de renseignement américain. "Dans sa plus simple expression, QAnon prétend qu'une cabale satanique et pédophile contrôle secrètement le gouvernement américain, voire le monde entier. Ses partisans croient que le président américain, Donald Trump, livre une guerre clandestine pour combattre ce groupe maléfique", explique un article de vulgarisation sur QANON publié par Radio-Canada. 

Selon Anna Merlan, il s'agit d'un énorme trou noir qui aspire toutes les conspirations (les Illuminatis, la mort de Kennedy, le 11 sept.), généralement relié à l'histoire des États-Unis, mais également maintenant pour plusieurs autres pays comme le Canada. Il s'agirait d'un groupe non organisé, alimenté par ses fidèles derrière leurs ordinateurs et donc les théories sont souvent contradictoires. 

Source : illustration de Mother Jones, 23 juin 2020

La pandémie a contribué à répandre les théories de QANON : des influenceurs-euses et practicien-ne-s des médecines douces se sont appropriés et ont diffusé à leur tour ces théories, selon cet article de Mother Jones. L'alliance récente des théories du complot, de l'extrême-droite et des groupes de médecines alternatives ont été également souligné au Québec. Cet article de Québec Science présente les points de rencontre improbables de ces mouvances : 

« Traditionnellement, la gauche a une méfiance envers les compagnies pharmaceutiques, et la droite envers le gouvernement. Quand on arrive en contexte de pandémie, où le gouvernement doit resserrer l’étau de nos libertés individuelles pour des raisons de santé publique, alors on commence à voir un mouvement réactionnaire. C’est la liberté individuelle à tout prix qui unit des gens d’allégeances différentes », résume Jonathan Jarry, communicateur scientifique à l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.

Il constate par ailleurs l’ascension de la « conspiritualité », la fusion entre le complotisme et la spiritualité. « Sur Instagram, on trouve des gens pro-santé, pro-yoga, pro-conscience de soi, qui adhèrent au mouvement QAnon parce que dans leur vision spirituelle, il y a un sentiment que tout est relié, qu’il y a un grand plan », explique-t-il.

Là où on peut dire que tout est dans tout, et crier au complot, c'est que les algorithmes, instaurés pour permettre aux médias sociaux de faire le maximum d'argent possible en générant des contenus à clics, favorisent la diffusion de fake news et autre désinformation. Bref, c'est la faute au capitalisme. Pour cette raison, il existe une tonne de faux comptes, gérés par des ordinateurs (des bots), qui ne font que repartager/retweeter en masse du contenu ciblé pour générer encore plus de portée à ces contenus et les rendre davantage visibles à des gens qui ne les cherchaient pas ou pas vraiment. 

Le drapeau américain avec le poing levé

Un des camions circulant en boucle dans la ville arborait un grand drapeau américain avec un poing blanc et noir levé. Pour plusieurs, le poing levé signifie la lutte et la résistance. Il est historiquement associé à la lutte des groupes opprimés. Pour cette raison, il est un symbole fort de la lutte pour les droits civiques des Noir-e-s et la lutte féministe.

Jumelé au drapeau américain, il prend la signification de la lutte nationaliste, du "Make America Great Again" que l'on voit chez les Républicain-e-s et les pro-Trump. La situation actuelle est considérée comme une dégradation, voir un assault, et il devient légitime de se défendre libérer "le peuple".



Des drapeaux nationalistes en abondance

Les mouvements nationalistes se sont essoufflés au Québec avec la perte de vitesse du Parti Québécois depuis le printemps étudiant en 2012 puis la fin d'Option Nationale qui a fusionné avec Québec Solidaire en 2017 (et même avant, diront certain-e-s, après le 2e référendum sur la souveraineté). Comment expliquer la résurgence de drapeaux nationalistes dans un mouvement prônant la liberté?

Cela peut paraître contradictoire de revendiquer à la fois une culture, une langue, un peuple (et donc des frontières) en même temps que la liberté. D'autant plus que le mouvement des convois pour la liberté critiquent les gouvernements, quand ils ne proposent pas de les renverser. Ce n'est donc pas le Québec de Legault ni le Canada de Trudeau ou les USA de Biden qui sont célébrés.

Pour un Québécois-e-s francophones, brandir un drapeau du Canada n'est pas chose courante. Déterrer celui des patriotes est encore plus étrange, quand on sait que les patriotes voulaient libérer le Canada-Français de l'emprise du Canada-Anglais (alors Haut et Bas Canada).

Toutefois, derrière ces drapeaux nationalistes, il y a l'idée de "nation", de "peuple". Un peuple uni jamais vaincu. Cela grince quand on pense que les groupes qui brandissent ces drapeaux ont une vision particulière du "peuple" : un peuple blanc avec une culture occidentale, tantôt québécoise "de souche" tantôt canadienne "de souche"; un peuple d'hommes armés et souverains, assis sur leurs puits de pétrole ou dans leurs camions, prêts à faire la guerre pour défendre leurs libertés... et leurs privilèges.

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